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Transcription de l'Emission Racine
Journaliste
Vous avez 13 romans à votre actif. Dont plusieurs on a eu été primés. Ils sont tous habités par une certaine recherche du sacré et pourtant vous vous définissez comme une athéiste aimante. Qu'est-ce que ça signifie ?
Christiane Singer
J'ai fait surgir cette remarque dans une situation donnée. J'entends athéiste comme sans représentation de Dieu. Je trouve que la chose la plus terrible, c'est ce piège qui se referme en faisant Clac et en prétendant ou croyant tenir Dieu. Dans chaque tradition, dans chaque religion il y a un moment, il y a d'abord la rencontre véritable du sacré et puis à un moment il y a la fermeture qui se fait. On croit le détenir, on a détenu la vérité comme on parle d'un détenu en prison et à partir de ce moment-là toute la vibration du sacré a disparu, comme par magie. Quand je parle d'un athéisme aimant comme on le trouve dans le Sanskrit qui simplement interdit toute représentation.
D’ailleurs Maitre Eckardt l’a redéfinit de façon extraordinaire en disant : « Toute représentation que nous avons de Dieu n’est radicalement pas Dieu ».
Et c'est dans ce sens-là, je suis dans cette liberté, du surgissement de la rencontre du divin dans chaque instant, en ce moment dans notre rencontre. Puisque toute rencontre crée cet espace entre qui est la définition, même probablement de cette présence-là.
Journaliste
Qu'est-ce que vous avez envie de transmettre?
Christiane Singer
Je viens d'écrire un livre sur la transmission, sur la passation en somme. Vous savez, je vois les générations comme une course de relais et on se passe les uns aux autres ce flambeau de la vie. J’ai l'impression qu'il y a eu dans ces années passées, il y a eu de graves démissions. il y a eu des non passations, c'est pour moi tellement poignant de voir parfois des jeunes gens à qui personne n'a dit par exemple que la vie était sacrée, que leur vie était sacrée que leur vie. Cette vie qui est en eux peut faire la différence sur cette terre. Ce n'est pas un contenu que j'ai à transmettre. Je m'en garderai.
Chaque âme est dans une telle richesse, il faut que cette richesse soit réveillée. La transmission au fond, c’est cette attention portée à un autre qui fait qu'en lui surgit le meilleur de lui-même. Comme je suis née du regard de quelques personnes merveilleuses qui se sont trouvées sur mon chemin et qui ont fait jaillir de moi la mémoire de ce que je suis en profondeur, c'est à dire cette résonance avec tout l’essentiel.
Journaliste
C’est une chance, donc parfois on peut passer à côté ?
Christiane Singer
La vie est tellement généreuse, on ne peut pas passer à côté. Vous ne pouvez pas passer à côté de l'automne par exemple, on ne peut pas passer à côté de la neige quand elle tombe. Vous comprenez. Ce sont aussi des rencontres de la même valeur, de la même valeur qu'une rencontre qui est celle d'un compagnon humain, d'une personne qui vous relie. Tout reflète de la Présence.
Journaliste
Le don de voir ?
Christiane Singer
Nous vivons par exemple des utilisations qui est un vrai appareil de distraction permanente. Vous savez, Pascal parlait du divertissement. Quand on pense ce qui était pour lui et regretter qu'on soit sans cesse diverti de l'essentiel. Quand on pense que nous, nous vivons dans une culture qui n'a que cette perspective, nous sommes en permanent divertissement. Maintenant je participe à ce divertissement en étant avec vous dans ce petit appareil qu’on appelle une télévision parfois aussi quelque chose d'immense d'immédiat de vrai qui crée aussi de la rencontre. Mais nous sommes dans une société qui nous distrait en permanence de l’essentiel.
Nous sommes hors de nous. Nous sommes en permanence arrachées dehors, alors que cet ancrage, cette richesse qui nous habite, elle a besoin d'être reflétée dehors pour que je la que je reprenne contact avec elle.
Journaliste
Pourquoi on a si peur ? Pourquoi on court tellement. Pourquoi cette immobilité nous paralyse ?
Christiane Singer
Parce que nous ne sommes pas mis en relation avec cette profondeur par le type d'éducation qui est le nôtre.
Journaliste
On change tout ? On repart à zéro ?
Christiane Singer
Nous créons une autre manière d'être ensemble la conversion de faire surgir des idées, des pensées de la présence de la qualité d'être. Peut-être ce ne sont même pas les mots que nous allons dire qui importe mais ce que une certaine qualité qui à un moment pour l'un ou l'autre de ceux qui nous écoutent sera là tout simplement. Ce ne sont pas des choses qu'il y a à transmettre, ce ne sont pas des contenus. Ce ne sont pas des théories, Dieu se rit de nos théories. Comme c'est pas du tout cela, c'est une manière d'être, une manière intense. Vous savez ce qui manque le plus à notre notre vie d'aujourd'hui. C'est cette intensité qui surgit de l'Intérieur et il faut en donner le goût et ce goût se prend dans la rencontre de personnes vivantes.
Journaliste
Alors dans vos différents livres, vous parlez des peurs, vous parlez de nos rages au fond. Comment est-ce qu'on lutte contre ses peurs contre ces rages contre ces colères qu'on peut avoir?
Christiane Singer
Elles font partie de notre du viatique. Il y a toute cette partie d'ombre en nous-mêmes et cette partie au fond qui est indignér de tout ce qui fait barrage à la vie véritable. Je pense qu'il y a aussi dans cette sinistrose générale à laquelle on assiste très souvent cette nostalgie profonde d'une vie qui serait la vraie vie le monde. Récemment je trouve dans les annonces le souhait qu'adressent des parents à une jeune fille pour tes 20 ans. « Mathilde, nous te souhaitons une vraie vie. » Cette expression dans sa simplicité m'a touchée au plus profond. C'est cela, cette essence, l'immédiateté des choses, non plus se détournement par le commentaire d'un autre, mais l'immédiateté dans la relation avec les êtres et avec les choses.
Journaliste
Quels sont vos outils pour gérer ces moments difficiles? Parce que comme tout le monde, vous en avez traversé ?
Christiane Singer
C’est tout simplement l'assurance que rien ne nous est donné pour nous écraser. Qu'il y a une force d'apprentissage dans chaque qualité qui nous visite et que souvent c'est justement nous mettre en chemin, qui va nous faire obliquer sur le chemin, qui va nous faire partir dans une direction qui sera plus véritable, qui répondra davantage à notre appel, à notre désir profond. Donc moi je plains seulement les personnes qui n'ont ni maladies, ni crises, ni difficultés parce qu’elles flottent à la surface des choses. Je trouve qque uelqu'un qui n'a jamais été confronté à une difficulté, à une maladie par exemple, Il lui manquera quelque chose toute sa vie. C’est évident que c’est une provocation de parler ainsi.
Journaliste
Quand quelqu'un est dans le malheur, quand on a perdu un être cher par exemple, on ne peut pas entendre, on ne peut pas entendre ces choses-là. Ils amèneront peut-être quelque chose de positif au bout du chemin. Mais quand il faut le vivre on s'accroche À quoi ?
Christiane
La traversée, vous savez, ces propos que je vienne tenir, Ils sont irrecevables par quelqu'un qui est juste dans la souffrance, qui est dans l'acidité, dans l'intensité de la confrontation avec le manque, avec la souffrance quelle qu'elle soit. Par la suite nous nourrissons cette souffrance. Elle se modifie au cours de l'existence. Si nous cessons d'y être totalement identifiés, je vous raconte simplement cette petite histoire qui m'est arrivé récemment. Une femme que j'ai rencontrée qui avait un rayonnement extraordinaire et qui m'a raconté son histoire. Ayant perdu son seul enfant, elle a vécu pendant des années dans une prostration totale. Un jour passant devant un miroir dans un immeuble où elle allait visiter une amie. Elle voit ce visage complètement ravagé. Elle s'arrête un instant et se dit : « Voilà le visage d'une femme qui a perdu son seul enfant » et dans cet instant où elle se désidentifie une seconde pour contempler de l'extérieur, comme s'il y avait quelqu'un qui était extérieur à cette souffrance qui lui avait survécu. En cet instant me racontait s’est engouffrée en elle la grâce et elle a entendu la voix de cet enfant qui lui disait « maman vit et arrête de porter mon deuil partout. Tu verras où tu rencontreras la vie. Je suis là et je te regarde. »
Quand nous cessons d'être complètement dans une crispation d'identification avec notre souffrance, alors seulement on peut s'introduire une autre dimension.
Journaliste
Donc cette grâce au fond on peut l'acquérir que seul, personne ne peut nous la donner.
Christiane Singer
Une grâce ne s'acquiert pas et on la reçoit. Parfois c'est dans le regard de l'autre. Dans la compassion de l'autre, le témoin d'un malheur ou d'une souffrance c'est un rôle sacré, celui qui vous écoute, celui qui reçoit l’histoire de votre souffrance change immédiatement le paysage intérieur. C'est à dire ce qui était crispé comme une fixation de pus, se met à couler se remet et la guérison commence; ce passage de ce qui est dur à ce qui coule ; ce sont les larmes aussi, c'est cette transformation elle est là.
Journaliste
Dans les Ennemis de la reine, vous écrivez vie et mort. J'ai retrouvé le oui qui accueille tout qui n'appelle rien de ses vœux. Est-ce que vous entendez par là ?
Christiane Singer
Vous savez nous sautons d'un univers à l'autre. Il faut avoir vraiment le pied marin pour poursuivre ce rythme. Par cette remarque, nous arrivons au fin bout de l’existence, ou de l'expérience humaine lorsque nous sentons que tout ce qui était de l'ordre du déchirement ; Tout ce qui était les deux visages du Janus. De toute chose, le matin, la nuit, l'obscurité, la lumière, la maladie, la santé, la souffrance, la joie, les larmes, le rire, tous ces opposés à un moment vous apparaissent subitement cette lumière saisissante. Ils sont les deux visages, d’une seule unité. Mais une question comme celle-là, elle me demanderait de faire un détour incroyable. C'est vraiment l'instant où les opposés se rejoignent et coïncident c'est l'illumination, c'est l'éveil, c'est l'instant où nous cessons de devenir des morceaux choisis en disant ça j'aime, ça Je veux bien, Ça Oui ça non! Oh non, ça j’aime.
Lorsque nous recevons ce qui vient en comprenant que tout est le visage voilé d'une unité intangible, c'est à dire que la face cachée des choses, l'univers caché des choses vient frôler notre univers d'ici, c'est comme si le rideau était soulevé ; le vent entre et subitement deux univers séparés se rejoignent. Là, nous sommes tout près du réel où tout ce qui est séparé, est dans cette unité première de la création.
Journaliste
Est-ce que c'est là qu'on comprend qu’en fait la terre ne nous doit rien, que tout ce qui nous est offert est cadeau ?
Christiane Singer
Mais bien sûr, vous savez une des souffrances les pires dans notre société, dans la manière dont nous vivons, c'est la revendication permanente, le larmoiement permanent, la voracité encore plus. C'est cela, cela m’est dû. Je vais souvent parler dans les écoles. J'ai le bonheur, j’ai la passion des jeunes et des enfants. J’y vais, je dis « Et tu crois que quelque chose t'es dû ? Alors viens ici ». Rien ne nous est dû, tout est cadeau. Rien ne nous est dû sur cette terre et c'est justement cet organe de la gratitude qui a été mutilée dans notre modernité et qu'il faut refaire surgir. Sinon, nous sommes permanence des affamés !
Journaliste
Peut-être en conclusion, Christiane Singer, un mot à réfléchir, à méditer un mot qui pourrait être un compagnon pour nous aider à traverser les moments les plus difficiles de notre vie.
Christiane Singer
Alors peut-être l'assurance, l'assurance que tout ce qui nous rencontre a un visage secret, a un message, même ce qui nous fait le plus souffrir, nous délivrera un jour son autre visage. Ne pas être perdu dans la souffrance au premier degré, mais dans l’attention de ce qui va se révéler derrière.
Journaliste
Donc toujours être à l'écoute, être en amour avec les autres ?
Christiane
Avec soi-même d’abord. C'est le plus difficile et tant que nous ne le sommes pas, il est évident que nous sommes des fréquentations dangereuses pour les autres puisque nous cherchons sans cesse compensation de la relation. Ce travail de se rencontrer, de s'incliner devant ce mystère que nous abritons chacun, le plus difficile, le plus incroyable des passages de l’Ancien Testament où il est dit « Seigneur je te remercie de cette Merveille que je suis et que tu as créée. » Une dame s’est approchée de moi et m’a dit « ce n’est pas possible que ce soit dans la Bible », et pourtant … c’est l’essence même.